Hommage à John Paul Leon : nos bat-planches préférées

Publié le 05 mai 2021 par

Le dessinateur John Paul Leon est décédé le 1er mai 2021 à 49 ans, après 14 ans à combattre un cancer colorectal. Dessinateur au talent reconnu dans l’industrie du comic book, d’ailleurs nominé à l’Eisner Award de la meilleur histoire courte en 2016 pour « Black Death in America » (scénarisé par Tom King), il avait étudié auprès de Will Eisner et Walter Simonson, et s’était vite fait remarquer chez Milestone Comics sur la série Static, puis sur diverses séries liées aux mutants de la Maison des idées, y compris comme seul dessinateur de la très remarquée Earth X d’Alex Ross et Jim Krueger.

Si vous avez pu en entendre parler particulièrement en automne 2020 dans le monde du comics et sur Batman Legend, c’est parce qu’Urban avait publié conjointement son Batman : Créature de la Nuit (Batman: Creature of the Night, Kurt Busiek, 2018-2020), série majeure en quatre fascicules, longtemps retardée à cause des problèmes de santé de l’artiste, et Terminal (Detective Comics #35-36, Benjamin Percy, décembre 2014 – janvier 2015) à l’occasion du FCBD. Et il devait poursuivre son travail sur un chevalier noir qui l’inspirait en effet particulièrement, puisque Tom King lui avait confié Batman/Catwoman Special, 48 pages prévues pour juillet 2021, nouvelles retrouvailles avec le super-scénariste (il avait également fait les 12 couvertures de Sheriff of Babylon).

John Paul Leon

Si nous avons été touchés comme amateurs de comics, nous avons naturellement ressenti le besoin de lui rendre hommage en tant que passionnés de Batman, et avons décidé de présenter chacun une planche préférée liée au dark knight dans son œuvre.

La planche d’Alexandra : Batman – Créature de la Nuit

Effrayant. C’est le premier mot qui vient à l’esprit quand on voit cette créature de la nuit. John Paul Leon nous montre avec une grande justesse la chauve-souris qui réside en Batman. Tout est parfait dans cette case qui me donne des frissons. Ce corps long, ses oreilles pointues, cet amas de noir, et ses yeux perçants : voici l’être qui berce les nuits de Gotham. Cette planche est pour moi le parfait exemple du travail de l’artiste sur ce projet qui est l’un des plus beaux comics sur le Chevalier Noir.

Batman Créature de la Nuit
Batman Créature de la Nuit

La planche d’Aliénor : Batman – Créature de la Nuit

Dans cette case qui compose la majeure partie de la planche, on ressent une grande variété d’émotions. John Paul Leon parvient à illustrer la détresse et la solitude du petit Bruce, sa vulnérabilité. Le Batman qu’il se représente, est à la fois terrifiant, immense, et protecteur, presque vulnérable lui aussi.
Il nait entre les deux, une intimité, une complicité touchante, une compréhension mutuelle et une alliance qui est amenée à durer.
J’aime cette case pour tous ces sentiments touchant qu’elle fait passer, et elle montre la sensibilité de l’illustrateur.

Batman : Créature de la Nuit
Batman : Créature de la Nuit

La planche de Nico : Terminal

Lorsque l’on a évoqué avec la team Batman Legend l’idée de faire un petit article en hommage à John Paul Leon, je me suis donc demandé quelle serait la planche que je choisirais… J’ai finalement porté mon choix sur cette sublime planche, utilisée en tant que couverture de Batman Terminal (que l’artiste avait réalisé avec Benjamin Percy). Pourquoi ? Pour trois raisons :

  • Tout d’abord, parce que je l’aime beaucoup visuellement (oui c’est une raison valable) et parce que je suis à peu près certain que la majorité des autres rédacteurs vont choisir une planche tirée de Batman: Créature de la nuit ^^ (et ils ont raison tant son travail sur ce récit était superbe).
  • Ensuite, car c’est la première planche de John Paul Leon que j’ai découvert. C’était lorsque Urban Comics a décidé d’éditer ce fameux numéro lors du FCBD l’année dernière 🙂
  • Enfin, parce que j’aime beaucoup ce qu’elle représente, avec cette mise en abime de l’aspect détective du Chevalier Noir (magnifiquement représenté avec cette lampe torche tenue par Batman). Avec tout ces cadavres et Batman qui découvre cette scène de crime !
    Une superbe planche qui me rappelle pourquoi j’aime tant lire du Batman.

« La » planche de Siegfried : Batman – Créature de la Nuit

Il est significatif que nous ayons presque tous choisi une planche issue du premier fascicule de Créature de la Nuit. Il y en a de très impressionnantes dans les suivants, mais risquant davantage de divulgâcher des éléments importants de l’intrigue quand notre sélection en rappelle le postulat et sa puissance fantastique/fantasmatique.


J’ai personnellement beaucoup hésité à présenter les premières planches montrant « Batman », parce qu’il est assez admirable qu’on le voie d’abord en vue subjective, dans ce qui pourrait être une référence aux jeux vidéo à la première personne, sous une forme bestiale qui n’a rien à envier au chevalier noir du Year 100 de Paul Pope, ou plutôt une non-forme, une tache noire, caractéristique formelle essentielle des débuts de The Dark Knight Returns (comme je l’ai exposé dans un article universitaire qui devrait être prochainement publié), et en insistant sur sa dimension de pure menace horrifique, à la manière du combat sur les docks de Batman Begins (à mon avis le meilleur passage du film et de loin). Bref il y aurait eu beaucoup à dire, mais en empiétant sur/répétant ce que mes consœurs avaient déjà prévu d’exposer, de sorte que je suis remonté encore plus tôt dans le volume, dans ce qui est à mon avis sa première succession de planches vraiment remarquables.


Bruce Wainwright y est en colère contre un oncle dont il se sent abandonné et court se réfugier dans le premier lot public accessible, « comme par hasard » une maison des chauves-souris. Au fond du désespoir, il s’y répète que dans les comics, les choses ne se seraient pas passées ainsi, ce qui était aussi la pensée de Paul Dini quand il fut agressé (ce qu’il raconte dans Dark Night). Paradoxal dans le cas de ce nouveau Bruce quand on songe… que c’est précisément aussi ce qui est arrivé au Bruce des comics. Quelque chose n’est pas clair dans la tête du héros.


Une nuée de chauve-souris brise alors sa cage de verre (que ce soit réel ou une vision d’un enfant perturbé n’a pas d’importance) et entoure le gamin terrorisé. Des images qui font explicitement référence à la chute de l’enfant Bruce Wayne dans la cave, dans le flashback de The Dark Knight Returns : il y était terrorisé par ces créatures de la nuit, tout en se sentant étrangement appelé par elles, avant même la mort de ses parents. Puis, dans Year One, c’est une unique chauve-souris brisant sa fenêtre alors qu’il est adulte et cherche sa voie qui le convainc de « devenir une chauve-souris », vision qui introduit également la décision dans TDKR de quitter sa retraite pour reprendre le costume et le combat. La chauve-souris donne systématiquement du sens à la vie du héros, brisant son confort et son incertitude pour le pousser vers quelque chose de plus grand.


Le parallèle avec le protagoniste de Créature de la Nuit est éloquent : alors qu’il a lu les comics, il ne ressent que de la peur, de la colère et quelque chose d’indéfinissable, puis s’effondre dans une pose qui convoque celle du « vrai » Bruce dépeint par Mazzucchelli immédiatement après l’assassinat de ses parents. Ce que cette intertextualité nous enseigne n’est pas que Leon a lu Miller et qu’il y ferait des allusions pédantes – tout le monde a lu Miller.

Elle nous permet au contraire de comprendre très efficacement l’écart entre Créature de la Nuit et le Batman de la continuité, la planche ayant ainsi valeur d’art poétique de cet elseworld : au lieu d’un Batman sain (avec tout son déséquilibre), parvenant à se raccrocher à ce que le monde lui donne pour donner une direction à sa vie, Wainwright paraît peut-être plus réaliste, et en tout cas bien plus paumé, surtout si l’on voit la nuée de chauves-souris comme une démultiplication de celle qui détruit la vitre du manoir Wayne, hyperbole qui devrait faciliter, rendre encore plus évident, le lien entre les deux Bruce W., et creuse au contraire le gouffre qui les sépare.


Une merveilleuse idée, qui n’aurait pas le centième de sa force sans le trait saisissant de Leon, se réappropriant les idées graphiques de Miller et Mazzucchelli notamment pour créer ce nouveau monde.

(Rappelons que vous pouvez retrouver une présentation plus complète de nos avis sur Batman : Créature de la Nuit dans le podcast de Batman Legend consacré aux lectures de septembre, où Aliénor, Alexandra et moi croisions nos avis, ou dans ma critique pour Comics have the Power où je me demandais si on pouvait le voir comme le meilleur elseworld et en même temps (très paradoxalement) comme l’un des meilleurs récits Batman.

Et vous, quelle est votre planche préférée de John Paul Leon, y compris en dehors de ses comics Batman ?

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Votre bat auteur

Doctorant en Littérature comparée, je prépare une thèse sur les enjeux politiques et moraux de la représentation des super-héros omnipotents dans les comics états-uniens depuis 1986. Auteur de l'essai Qui est le chevalier noir ? Batman à travers les âges (Third Éditions, 2019, 350 p.), j'ai également rédigé plusieurs articles universitaires et donné plusieurs conférences sur le comics, les liens entre bande dessinée et jeu vidéo, les liens entre jeu de société et jeu vidéo, la critique cinématographique sur YouTube... En plus de Batman Legend, je contribue au partage de mes passions sur VonGuru (le jeu de société et le cinéma), sur Comics have the Power (le comics et ses « adaptations », notamment dans une perspective politique) et dans une moindre mesure sur Superpouvoir (le comics, notamment ses incipits).

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