Focus : Bruce before Batman
Publié le 27 mars 2024 par Andresy
Les aventures de Batman ont été déclinées, rebootées, multiversées depuis plus de 80 ans. Si sa nature profondément humaine, sa volonté d’acier, son physique à (presque) toute épreuve et son intelligence hors-pair sont des caractéristiques quasi immuables, peu d’œuvres (tous média confondus) se sont penchées sur l’enfance et l’adolescence du jeune Bruce Wayne jusqu’à l’âge adulte afin d’explorer comment l’orphelin traumatisé est devenu le justicier le plus doué, le plus fascinant et le plus emblématique de la pop-culture.
De façon générale, sauf rares exceptions (on peut citer notamment le récent Batman : The Knight dont on peut lire la Review par Benoit ici), il faut compiler les informations dans les divers comics, séries et autres films pour arriver à reconstituer le puzzle de la genèse de notre héros. Et encore, ce n’est point tâche aisée car les versions varient souvent. Nous allons donc nous attacher à poser les grandes lignes qui ont permis à un Bruce enfant et désespéré de construire une chrysalide de plusieurs années pour faire émerger le Chevalier Noir de ce cocon de volonté et de souffrance.
Puisqu’il faut bien choisir un point de départ, prenons donc le plus “canonique” à savoir la référence (à plus d’un titre) Year One de Franck Miller et David Mazzucchelli. Bruce Wayne revient à Gotham 18 ans après la nuit de la mort de ses parents (dans cette version, c’est en allant voir “Le Signe de Zorro” au cinéma). Il est âgé de 25 ans. Petite soustraction, en comptant les arrondis… Bruce a donc entre 7 et 8 ans quand Joe Chill assassine Thomas et Martha Wayne.
Les paragraphes qui suivent vont donc s’atteler à essayer de reconstruire ce qui s’est passé pendant ces 18 années…
The Boy Wonder ?
L’Histoire commence donc avec un jeune garçon agenouillé devant le cadavre de ses parents. A partir de là, on peut souligner plusieurs versions mais dans l’ensemble, il y a une période pendant laquelle, entre l’enfance et l’adolescence, le petit Bruce va essayer de surmonter ce deuil.
Deux personnages vont l’aider (selon les versions) dans ce douloureux moment : Le Docteur Leslie Thompkins, introduite par Denny O’Neil dans Detective Comics #457 en 1976. Leslie travaille dans les quartiers pauvres de Gotham, et se trouve ainsi aux premières loges lors de l’assassinat. C’est elle qui va réconforter le petit Bruce en premier. Par ailleurs, elle restera l’une des seules gardiennes de l’identité secrète de Batman.
Le second évidemment est Alfred Pennyworth, le majordome des Wayne. Là aussi, son rôle précis varie notablement en fonction des versions.
Dans la série TV Gotham, il devient rapidement le précepteur et père de substitution, en le formant notamment à certains arts martiaux tels la savate. Globalement, il cherche surtout à préserver la santé (physique et mentale) du petit Bruce et agit plus en protecteur qu’en mentor. De fait, il constitue avec Leslie Tompkins une sorte de famille de substitution et tous deux chercheront à l’éloigner (ou retarder) de sa croisade contre le crime.
Bruce n’est donc pas encore le jeune prodige (facile) qu’il a le potentiel de devenir. Il faut dans un premier temps gérer sa colère et sa haine. Gros chantier pour le sus-nommé Pennyworth. Dans un autre style, la série Gotham (qui n’est pas axée sur la formation de Bruce mais plutôt sur la trajectoire de Gordon) le montre déjà apprenti enquêteur en tentant de résoudre l’énigme du meurtre de ses parents (enquête également évoquée dans La Nuit des Hiboux). Histoire de souligner un QI déjà bien au-dessus de la moyenne.
A partir de là, les récits deviennent réellement épars et aucune œuvre n’est précisément consacrée à l’enfance de Bruce (avant son adolescence et son départ du manoir pour se former). Il faut donc se plonger dans les comics pour retrouver, à partir des flashbacks, des informations pertinentes et participant à la construction du jeune Bruce.
On trouve quelques uns de ces éléments notamment dans Le Cœur de Silence de Paul Dini. Les flashbacks couvrent notamment les décès des parents de Tommy et de ceux de Bruce mais on y retrouve les efforts d’Alfred pour pallier à la solitude de Bruce (on avouera que la compagnie de Tommy n’est pas, a posteriori, la plus saine que l’on puisse trouver).
Incapable de s’adapter à un environnement scolaire classique, Bruce va – notamment avec l’aide d’Alfred – se poser en autodidacte brillant dans de nombreux domaines, écumant la bibliothèque (The Knight). Et si cet apprentissage en solo a été le premier qui a été envisagé par les “pères” Bob Kane et Bill Finger (Batman #47), il a été repris par Denny O’Neil et Neal Adams (Batman #232).
Cependant, malgré l’assistance d’Alfred et Leslie et ses talents innés, on imagine mal comment Bruce aurait acquis toutes ses compétences physiques, techniques et intellectuelles seul. L’idée de lui trouver un certain nombre de mentors de par le monde a donc germé dans l’idée de plusieurs scénaristes durant les années 80.
C’est oublier un peu vite que bien avant, dans les années 50, un personnage oublié a largement contribué à la formation de Bruce Wayne. Il s’agit d’Harvey Harris, l’un des meilleurs détectives de la Police de Gotham à l’époque (bien avant l’arrivée de Jim Gordon, selon le “canon” de Miller) et l’une des “idoles” du jeune Bruce Wayne. C’est Harris qui a aidé le jeune Bruce en initiant sa formation de détective, en lui enseignant les différentes techniques pour résoudre les crimes les plus difficiles.
Bruce n’était encore qu’un enfant lorsqu’il suivait Harvey Harris. C’est à cette époque que Bruce a été le premier à porter le costume de Robin parce qu’il devait le porter pendant qu’il apprenait sous les ordres de Harris pour garder son identité secrète (Detective Comics #226 en 1955). Et Harvey a fini par inventer le nom de “Robin“, qui est devenu le nom standard de tous les acolytes de Batman. A noter que le personnage de Harris a fini par disparaître dans le maelstrom de “Crisis on Infinite Earths“.
Bruce a donc gagné un certain nombre de qualités de détective, mais la croisade qu’il commençait déjà (inconsciemment ?) à imaginer nécessitait forcément d’autres aptitudes.
Après donc une période de quelques années au Manoir Wayne et à Gotham (cette durée étant sujette à caution) Bruce va quitter Alfred (et Leslie, selon les versions) aux alentours de 14 ans, en pleine adolescence (postulat vaguement repris dans la série TV Gotham).
Teen Detective
Durant les années 1980, plusieurs récits exploreront cette question de savoir auprès de qui Bruce a pu acquérir toutes ses connaissances. C’est ainsi que John Byrne et Jim Aparo s’associent pour raconter les Many Deaths of Batman (Batman #433-435 en 1989), un récit où certains de ses anciens maîtres sont abattus et abandonnés vêtus d’un uniforme de Batman. Dans la foulée, un personnage désormais essentiel est présenté pour la première fois : Henri Ducard fait son apparition dans Detective Comics #599, introduit par Sam Hamm et Denys Cowan.
C’est à ce moment-là qu’il est nécessaire de contextualiser un élément important : si dans ses toutes premières années de deuil, le jeune Bruce a envisagé d’intégrer la police pour épancher sa soif de justice, la voie – illégale – qu’il a choisi de se tracer l’a amené à chercher et croiser des individus agissant eux-mêmes dans la plus parfaite illégalité.
Ducard est dans cette parfaite lignée : Considéré comme le plus grand chasseur d’hommes du monde, Henri Ducard est un tueur réputé qui fait souvent affaire avec la CIA ou encore le KGB. D’une intelligence et d’une habileté hors du commun, il a transmis son sens de l’analyse et de la filature et a, de ce fait, largement contribué à faire de Bruce le plus grand détective du monde. Cependant, il s’agit effectivement d’un personnage parfaitement amoral, bien que pas fondamentalement mauvais. Mais de fait, il se trouvera souvent en conflit avec le jeune Bruce puis plus tard, avec Batman (notamment dans le OneShot Batman : La Dernière Sentinelle). On peut d’ailleurs souligner que Christopher Nolan s’est appuyé sur cette dualité dans Batman Begins où il pose Ducard en mentor d’un Bruce presque adulte pour finalement révéler que Ducard est Ra’s Al Ghul qui entrera rapidement en conflit avec son “élève”. Notons que cette adaptation ne correspond à aucun comic…
Si on peut citer, toujours dans le registre de l’investigation, la contribution de personnages tels que le détective privé Dan Mallory, le pisteur Willy Doggett ou encore Cassander Wycliffe Baker, il semble également (là-aussi, les versions divergent) que ce soit bien Ducard qui ait orienté Bruce vers d’autres mentors de spécialités diverses afin de parfaire la formation du futur justicier dans d’autres domaines.
Tigre, Dragon et chauve-souris
Au-delà de la sagacité qu’il a appris à développer, Bruce s’est formé à la quasi-intégralité des arts martiaux, au sens large (incluant donc l’escrime et très certainement le tir à l’arc) et les sports de combats plus… occidentaux.
Afin de devenir le combattant au physique, à la technique et à l’endurance exceptionnels, le jeune Wayne s’est rapproché de mentors aussi divers (et ambigus, voire mystérieux) que Ted Grant alias Wildcat. Ce boxeur hors-pair devenu vigilante à la suite d’un drame a formé Bruce Wayne a tout un panel de techniques de combat, de la boxe au Krav Maga en passant par la capoeira et le Muay Thai. Wildcat a par ailleurs également eu parmi ses illustres élèves d’autres membres de la Justice League tels Black Canary ou même Flash.
Dans un autre style, on pourra également citer Richard Dragon, qui interviendra ultérieurement. Dragon est l’un des plus grands pratiquants d’arts martiaux au monde. Son maître était le légendaire O-Sensei qui sera également un des maîtres de Bruce. Dans ses jeunes années, il était un aventurier qui parcourait le monde avec ses amis les plus proches, Bronze Tiger et Lady Shiva.
Mais les arts martiaux dépassent largement le cadre des poings et des pieds. Ainsi, Bruce sera également initié au techniques spécifiques des Ninjas et de leur art de l’invisibilité par un trio fort respectable composé du ninja Kirigi, du voleur Mekhala, et du moine bouddhiste Shihan Matsuda. Donc, contrairement à ce que Batman Begins évoque, Bruce n’a pas été l’élève de Ra’s al Ghul mais a bénéficié plus subtilement de son enseignement par Kirigi, qui, lui, a bien recruté par la Tête du Démon pour former les tueurs de la Ligues des Assassins.
Ajoutons à cela une pratique avancée de l’escrime, laquelle lui fût inculquée par Shihan Matsuda qui tient une place importante dans la formation de Bruce à plus d’un titre : il lui enseigne la maîtrise du katana (qui lui sera bien utile plus tard dans certaines de ses tribulations) et lui apprend à contrôler la température de son corps. Notons également que pendant son séjour, Bruce est tombé amoureux d’une fille qui s’est avérée être un assassin engagé pour tuer Matsuda. Dans ses dernières paroles, Matsuda a prévenu Bruce que de telles relations personnelles le mèneraient à sa perte. Quand on connait la place particulière des femmes dangereuses, voire mortelles, qui occupent l’univers de Batman, on comprend qu’un tel avertissement soit lourd de sens (voir notre dossier sur Batman et ses relations amoureuses).
House of Mystery
Nous savons que Bruce n’est pas un adepte de la magie, de la sorcellerie et autres pratiques occultes. Pour autant, on perçoit que ce monde ne lui est pas inconnu et qu’il peut en appréhender certaines subtilité (à la différence de Kal-El pour qui la magie représente une des pires menaces).
Cela vient très certainement du fait que dans sa jeunesse, Bruce a tenté de suivre l’enseignement de la magie auprès d’un des plus grands maîtres : John Zatara. Et pour qui a lu – entre autres – The Knight, il est de notoriété publique que Bruce a connu à ce titre le principal échec de sa formation. Complètement hermétique au lâcher-prise psychologique qu’impose la magie, il ne parviendra jamais à en maîtriser ne serait-ce que les bases.
Cependant, Bruce gardera toujours des contacts secrets avec ce milieu et saura y faire appel lorsque la situation l’exigera, notamment en la personne de John Constantine ou, plus fréquemment, la propre fille de John Zatara, Zatanna, avec qui il gardera des liens étroits.
Mais de la magie à la prestidigitation ou l’illusionnisme, il n’y a qu’une frontière tenue. Et dans ces domaines, Bruce sera bien plus doué en devenant, auprès de Zatara, un maître de l’évasion. Et c’est également en suivant l’enseignement de Sergei Alexandrov que Bruce deviendra un maître en la matière, en apprenant à construire des gadgets et à penser de manière non conventionnelle pour résoudre ses problèmes.
Beware of Dark Side
Difficile de finir cet article sans évoquer les quelques personnages réellement sombres qui ont pu guider le futur Batman. On peut souligner l’importance de Don Miguel, pilote (et voleur) de voiture hors-pair qui a appris cet art au futur pilote de la Batmobile. Après avoir appris tout ce qu’il pouvait de cet as du volant, Bruce le piégea afin qu’il puisse être jugé pour le meurtre de… 23 policiers.
Dans un registre encore plus sombre, on peut retrouver David Cain, l’un des assassin les plus redoutables du monde, qui a tenté de former Bruce à l’art des gestes léthaux. Il semble bien que Bruce ait surtout retenu ses leçons afin de parer plutôt que d’attaquer. Et comme il l’affirme : “Connaître les gestes qui tuent ne signifie pas vouloir les utiliser”. Cain finira par comprendre la véritable identité de Batman et on peut également souligner qu’il deviendra le père de la future Batgirl : Cassandra Cain, dont la mère n’est autre que Lady Shiva.
Enfin, on ne peut passer sous Silence… un personnage plutôt récent dans la mythologie DC, en la personne de Ghost-Maker, alias Minhkhoa Khan. Si on ne peut “ranger” ce dernier dans le panel des personnages qui ont participé à la formation de Bruce/Batman, on doit lui reconnaître un rôle (lui aussi introduit récemment dans Batman The Knight) particulier, puisque le jeune futur Ghost-Maker a plutôt longuement accompagné Bruce pendant sa formation, sous le pseudonyme d’Anton. Extrêmement doué, moins scrupuleux que son ami (car il faut bien parler d’amitié), Anton a apporté deux choses qui manquaient peut-être au futur Batman : un concurrent à même de pousser son émulation à son paroxysme (même si la motivation de Bruce ne lui a jamais vraiment fait défaut) et… la présence d’un partenaire. Et beaucoup se prennent à penser que c’est la présence, puis l’absence d’Anton qui a participé à faire en sorte que Batman, finalement, reste rarement seul… et s’entoure de Robin(s).
Conclusion
L’histoire, ou plutôt, les histoires n’ont pas fini de continuer à nous raconter comment un jeune garçon orphelin est devenu le plus iconique membre de la Justice League et le héros le plus emblématique de l’univers DC. Ces années où le héros s’est lui-même construit sont assez peu évoquées (tous récits et versions confondues) ce qui, de mon point de vue, reste assez étonnant, vu la richesse de ce qu’il y aurait à raconter et montrer.
Cependant, si on essaye de prendre un peu de recul, on peut dire – et ce n’est pas étonnant – qu’à chaque moment, au-delà d’acquérir de nouvelles compétences, Bruce a aussi fait un choix. Le choix de continuer. Le choix de la voie de la justice. Le choix de l’humanité… et bien d’autres. Et ce sont aussi ces choix qui l’ont construit.
Enfin, n’oublions pas que les meilleurs professionnels se doivent de se former en permanence afin de rester au meilleur niveau. Et dans la lutte contre le crime, cet adage est encore plus vrai. Le Chevalier Noir sera donc amené dans toute sa carrière à continuer à se former, à apprendre de ses échecs (le terrible combat contre Bane dans Knightfall en est un parfait exemple). Il rencontrera ainsi d’autres guides qui continueront à faire de lui ce que le concept de meilleur détective du monde ne peut résumer. Ils contribueront à faire que Batman puisse rester Batman. Mais cela fera peut-être l’objet d’un nouvel article.
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